Rendons le féminin à la langue française

Rendons le féminin à la langue française 

Rendons le féminin à la langue française 

 

L’écriture inclusive, qui a pour objectif de réduire les discriminations liées au genre dans la langue, fait actuellement débat. Derrière ce concept se cache, en réalité, un ensemble de moyens linguistiques visant à assurer une meilleure égalité de genres dans la langue française. En effet, les pays francophones sont parmi les plus conservateurs en matière de réformes linguistiques. Toutefois, de telles réflexions au sujet de la langue ne sont pas neuves. L’invisibilisation des femmes – et plus généralement du féminin – n’est pas une élucubration de notre ère. Depuis bon nombre d’années, linguistes et féministes unissent leurs voix pour dénoncer la domination du masculin sur le féminin dans notre idiome. C’est que le débat dépasse la pure dimension linguistique et touche aux sphères politiques et sociales.

Dès les prémisses de la démocratie moderne, parole (logos, λόγος) et politique (polis, πόλις)1 sont intimement liées. Déjà au IVe siècle avant notre ère, Aristote déclarait :

« Si l’homme est infiniment plus sociable que les abeilles et tous les autres animaux qui vivent en troupe, c’est évidemment, comme je l’ai dit souvent, que la nature ne fait rien en vain. Or, elle accorde la parole à l’homme exclusivement [...]. L’homme a ceci de spécial parmi tous les animaux, que seul il perçoit le bien et le mal, le juste et l’injuste, et tous les sentiments de même ordre, qui en s’associant constituent précisément la famille et l’État »2.

Aristote décrit là l’une de ses idées les plus connues, à savoir que l’homme est un animal politique (zôon politikon, πολιτικὸν ζῷον) par nature, qui participe ainsi de manière active et réfléchie à la vie politique par le logos.

Dès lors, toute réforme linguistique est étroitement associée à la politique. Ainsi, l’adoption du français (françoys à l’époque) comme langue officielle, via l’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539, provoque de vives réactions du côté des conservateurs et des défenseurs du latin – unique langue considérée jusqu’alors comme digne de véhiculer des écrits officiels –. Cette réforme linguistique marque une étape importante dans la centralisation du pouvoir et fortifie l’image d’un souverain puissant – à savoir, François Ier –. À la même époque, en 1549, un groupe de poètes lyonnais, connu sous le nom de La Pléiade, publie un texte de théorie littéraire fondateur, Défense et illustration de la langue française, prenant la forme d’un plaidoyer visant à démontrer la richesse de la langue française et à en faire non seulement une langue d’enseignement, mais surtout une langue littéraire.

Ainsi, le langage est politique et fait l’objet de rapports de forces et d’évolutions. La modification des pratiques quant à l’usage du féminin dans le français, au cours des siècles derniers, en est une épreuve, comme nous tenterons de le déterminer dans les pages qui suivent.

La présente note souhaite se pencher sur la dimension politique que revêt le langage. La langue française est-elle sexiste ?3 Qu’implique une réforme de l’orthographe ou de la grammaire ? Doit-on considérer cela comme une évolution, comme un phénomène naturel ou comme une mesure inutile complexifiant l’acquisition du langage, de l’écriture et de la lecture ?

Sophie PISSART

Thème FWB: « Enjeux macrosociaux et institutionnels ».



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1 Aristote considérait l’homme comme un animal rationnel – doué du logos – mais aussi comme un animal politique – vivant et évoluant au sein d’une polis–.
2 Aristote. Politique. I, 1. Paris : Dumont. 1848. pp. 7-8.
3 On peut légitimement s’interroger à ce sujet. En effet, il convient de rappeler le conservatisme de certaines institutions, dont l’Académie française. À titre d’exemple, celle-ci définit l’occurrence présidente comme « femme de président ». Définition disponible via : https://www.dictionnaire- academie.fr/article/A9P4153