D’année en année, le concept de « racisme systémique » s’implante dans notre société. Peu usité, voire complètement nié par le passé, ce vocable est aujourd’hui partout présent et fait débat. Cette expression décrit l’ensemble des mécanismes favorisant et reproduisant des inégalités et des violences sur base de critères « raciaux », dans un contexte où l’égalité des êtres humains est pourtant consacrée au travers de la loi.
Au fil des années, des actes de rejet et d’exclusion demeurent, et ce, avec une visibilité et une violence chaque fois plus accrues1, notamment au sein de l’espace public – n’en témoigne l’exemple du tragique meurtre de George Floyd le 25 mai 2020 –. La persistance de tels crimes suscite des inquiétudes et des questionnements : Comment comprendre le racisme et ses survivances, en 2021, dans des pays occidentaux comme la Belgique ? Comment concevoir la persistance de ces délits dans une société où le racisme est publiquement combattu et puni ? Sous quelles formes ceux-ci apparaissent-ils ? Quelles solutions et réparations apporter ?
Les questions de « racisme » et de « races » ne sont pas neuves. Dès les XVe et XVIe siècles, l’on procédait déjà en Europe à une classification ainsi qu’à une hiérarchisation des cultures, considérant l’autre, l’indigène comme socialement inférieur à l’homme chrétien venu de l’Ancien Monde2. Néanmoins, l’imaginaire raciste se cantonne à cette époque à des dimensions purement sociologiques et ethniques. Ce n’est qu’à partir du XIXe siècle que la notion de « race » prendra une teinte biologique, devenant alors l’expression d’un racisme scientifique en pleine émergence. Aux origines de la pensée racialiste scientifique se trouve Joseph Arthur de Gobineau – auteur d’Essai sur l’inégalité des races humaines (1853), ouvrage abject, résultat d’une lecture erronée des théories de Darwin3, qui postule l’existence de trois races primitives (blanche, jaune et noire), dont les métissages conduisent à la décadence de l’espèce humaine – dont l’histoire en fit le père des théories racistes4 -. Il faudra attendre la fin des années 1940 et les ravages des politiques eugéniques pour entamer une nouvelle réflexion sur la notion de « race »5. En effet, dès 1946, on retrouve, comme préambule de l’acte constitutif de l’UNESCO, « le racisme s’alimente de notions scientifiquement fausses et de dogmes irrationnels ayant conduit tout droit à la guerre»6. Ces réflexions menées par l’UNESCO conduiront à la publication d’une série d’écrits, parmi lesquels on peut retrouver Race et Histoire (1952) de Claude Lévi-Strauss – ouvrage lui-même complété, une vingtaine d’années plus tard, par Race et Culture (1971) du même auteur –. Pour le philosophe français, la thèse de Gobineau est erronée ; dans la mesure où la notion de « race » ne dépend pas des lois de la nature mais est, au contraire, un produit de nos cultures. Ainsi, s’il existe des distinctions entre groupes humains, celles-ci ne relèvent nullement de la biologie mais de l’anthropologie. L’on peut toutefois légitimement se questionner sur les raisons expliquant pourquoi le racisme se maintient alors que la croyance en l’existence de races humaines s’est quant à elle largement estompée ?
Les mentalités ont donc évolué, atténuant les préjugés et les stigmates du passé. La situation est pourtant loin d’être idéale à l’heure actuelle. La culture du déni persiste ; le racisme systémique perdure. La présente note a donc pour objectif de s’interroger sur les raisons expliquant les survivances racistes en analysant d’abord les nuances à apporter dans le débat associant – ou opposant – l’expression d’opinions racistes au principe de liberté d’expression, puis en proposant une analyse du racisme systémique et de ses manifestations en Belgique avant de présenter un bref panorama des solutions, tant politiques que juridiques, en matière de lutte contre les discriminations raciales.
Sophie PISSART
Thème FWB: « Le progrès social par la stimulation d’initiatives économiques et collectives ».